Alstom, équimentier ferroviaire se crash en Bourse
Alstom

L'équipementier ferroviaire a connu un jeudi noir en Bourse, plombé par un lourd avertissement sur son cash disponible. Alstom a plongé de 37,58% jeudi à la Bourse de Paris. Le marché a massivement vendu l'action de la société à la suite d'une nouvelle déception sur la trésorerie. Le groupe prévoit de brûler entre 500 millions d'euros et 750 millions d'euros de cash-flow sur l'exercice en cours, à la suite d'un décaissement surprenant de plus de 1 milliard d'euros au premier semestre.

Le parcours boursiers d'Alstom a connu ces dernières années plusieurs accidents dont beaucoup liés à sa difficulté à contenter le marché sur la génération de trésorerie. Le groupe semble ainsi avoir un problème de free cash-flow (flux de trésorerie libre) apparemment sans fin. Eric Bleines, Directeur général de Swiss Life Gestion Privée fait le point sur les raisons de ce crash.

Comment expliquer cette forte correction ?

Eric Bleines : Alstom a prévenu que le Free Cash-Flow dégagé par le groupe au 1er semestre de son exercice sera négatif de - 1,15 milliard d'euros alors que le consensus était calé sur -150 millions d'euros. Et que le cash-flow libre pour l'année fiscale (mars 2023 - mars 2024) devrait finalement être négatif, de 500 à 700 millions d'euros, alors qu'il était anticipé jusque-là " significativement positif " (consensus Bloomberg +287.5 M€).
Les autres objectifs de l'année en cours et de moyen-terme sont en revanche confirmés. Pour l'exercice en cours (clôture au 31 mars) croissance organique des ventes supéreure à 5%, ratio de commandes sur chiffres d'Affaires supérieur à 1 ; marge d'exploitation ajustée autour de 6%. Les perspectives de moyen-terme sont également confirmées : marge opérationnelle ajustée 8-10% à partir de 2025/2026, grâce aux meilleures marges sur les nouveaux contrats et la complète exécution des projets difficiles en carnet, taux de conversion en FCF du résultat net ajusté supérieur 80% à partir de 2025/26.

Quelles sont les raisons données par Alstom ?

Eric Bleines : Alstom explique ce décalage sur le Free Cash Flow par 3 points.
Pour 50% : l'accroissement des stocks lié à la forte croissance des carnets de commandes et aux conditions plus contraignantes de la chaîne d'approvisionnement. Les BFR montent effectivement lorsque l'activité est en croissance. Pour maintenir les marges dans un environnement de tensions et de fortes volatilités sur les matières premières, il faut anticiper en sécurisant ses approvisionnements. Sur ce sujet des stocks, des améliorations sont attendues sur le 2eme semestre de l'année fiscale en cours et ce facteur négatif devrait être totalement résorbé à l'avenir.
Pour 33% : des retards pris dans la finalisation du programme Aventra (désormais attendue au début 2024/25) en Angleterre. Un des anciens contrats de Bombardier qui revient comme source de problèmes.
Pour 12% : une baisse des avances sur commandes au S1-2023/24 (baisse de 15/20% par rapport à l'année précédente) qui devrait être compensée au S2-2023/24. En effet, le directeur financier prévoit un niveau solide de prises de commandes au S2 (supérieur au S2 2022/23).

Les marchés ne semblent plus faire confiance au management ?

Eric Bleines : La confiance du management d'Alstom dans sa capacité à redresser Bombardier est régulièrement mise à mal par des révisions négatives, notamment sur la génération de cash.
Depuis l'acquisition de Bombardier, Alstom est une entreprise endettée : 3 milliards de dettes, soit 2,5x l'Ebitda de mars 2023. La note de crédit d'Alstom est encore celle d'une bonne signature (Investment Grade) mais BBB-, c'est-à-dire à la frontière d'une dégradation vers le High Yield (note pour des entreprises moins solides). Le risque d'une dégradation de la note de Moody's est de nouveau d'actualité car le maintien de sa note repose sur un redressement opérationnel de l'entreprise. Constatons que les cours des obligations d'Alstom ont déjà quasiment acté d'une future dégradation.

Moody's devra donc décider si elle se concentre sur le court terme ou si elle regarde l'année suivante, l'agence n'a pas d'urgence particulière à se prononcer. Aucune émission n'est prévue et il n'y a pas de remboursement de dettes avant la mi-juillet 2026.
Le marché a aussi la crainte d'une augmentation de capital dilutive pour l'actionnaire actuel. Le marché se souvient que le management a toujours dit qu'il voulait rester 'investment grade', ce qui signifie qu'il devra trouver d'autres moyens pour le rester (augmentation de capital, cessions...). Le directeur financier a été très clair dans la journée et a déclaré qu'une augmentation de capital n'était pas à l'ordre du jour ("nous avons beaucoup de liquidités" - ce qui est vrai). Des deux côtés de l'Atlantique, les banques centrales ont augmenté leurs taux directeurs de 25 points de base en juillet. Mais la situation de la Fed et de la BCE n'est pas la même. Aux Etats-Unis, Jerome Powell est en passe de gagner son pari : faire refluer l'inflation mais sans faire tomber l'économie en récession. C'est l'"atterrissage en douceur" qu'il souhaitait. La BCE, qui partait d'un niveau d'inflation plus élevée, a également réalisé un travail considérable mais au prix d'une stagnation de son économie. Et sa tâche n'est pas encore terminée, alors que la Fed est probablement proche de la fin de son resserrement.

Faut-il se positionner sur le titre ?

Eric Bleines : Le titre souffre d'un scénario désagréable compte tenu de la faiblesse persistante de l'entreprise à dégager du cash flow libre d'exploitation depuis l'acquisition de Bombardier et sombre par les questions que se pose le marché sur la confiance du management à éviter une augmentation de capital dilutive pour l'actionnaire.
Au cours actuel, le rapport de l'assise économique de l'entreprise (16 Mds de chiffre d'affaires et en croissance de 5% par an au regard de sa capitalisation boursière est très déséquilibré (5.1mds), avec un ratio de 0.3x les ventes.
Le ratio de dette/Ebitda à 2.5x n'est pas un ratio dangereux, juste désagréable pour un statut " Investment Grade ". Rappelons que tous les autres ratios de rentabilité sont maintenus.
Ainsi, le cours atteint jeudi soir nous paraît, au vu des informations disponibles, déraisonnable pour vendre... En fait, nous nous demandons qui déraille le plus : le marché ou bien Alstom ?