Aude Durand, La nouvelle tête chercheuse de Xavier Niel derrière le lancement du ChatGPT français

A 32 ans, Aude Durand est, depuis trois ans, directrice générale adjointe d'iliad. C'est la nouvelle tête chercheuse de Xavier Niel sur les sujets de l'intelligence artificielle, mais pas que. C'est d'ailleurs elle qui pilote le nouveau labo d'IA, Kyutai. Interview exclusive de la nouvelle pépite clé du groupe.

Après vos études d'ingénieurs à Polytechnique puis à l'Université de Stanford en Californie, vous revenez en France pour travailler chez Orange avant de rejoindre Free. Racontez-nous un peu votre parcours ?

Aude Durand : Ça fait trois ans et demi que je travaille aux côtés de Xavier Niel, dans la structure Iliad Holding, ce qui me permet d'avoir une vue d'ensemble sur tous les projets stratégiques du groupe.

On aurait pu imaginer pour vous une carrière dans la Silicon Valley. Pourquoi vous n'êtes pas allées dans une Gafam ?

Aude Durand : Après Polytechnique, j'ai enchaîné à Stanford pour me spécialiser dans la "data science". Je voulais rentrer en France pour des raisons personnelles. Et j'avoue que je suis arrivé chez Orange un petit peu par hasard, mais on m'avait proposé un poste de Product Manager dans l'IoT (Internet of Things), un sujet qui était assez à la mode en 2017. Et il y a trois ans et demi, Xavier m'a contacté directement sur LinkedIn pour me proposer de le rejoindre.

Quelle était votre feuille de route ?

Aude Durand : Xavier Niel cherchait quelqu'un spécifiquement pour prendre en charge différents projets stratégiques. A l'époque, on ne parle pas encore d'IA. On ne pensait pas que l'intelligence artificielle générative allait exploser. Mon rôle, auprès de lui, était de l'aider, de le représenter au niveau du groupe Iliad pour faire avancer un certain nombre de projets stratégiques.

Donc j'ai travaillé sur plein de domaines, notamment Free Proxi, le projet d'assistance de proximité. J'ai en fait initié le projet avec les équipes opérationnelles. Cela a été mon premier gros projet et un fil rouge pendant mes trois premières années. Nous sommes encore en déploiement en France.

J'ai aussi travaillé sur un tas de sujets marketing pour Free, j'ai travaillé un peu pour Free en Italie, pour Play en Pologne. Mon rôle est assez large et me permet de passer des sujets très macros jusqu'aux sujets opérationnels pointus, dès lors que l'on considère qu'il y a un enjeu particulier à aller creuser.

Chez Free, on appelle cela le mode hélicoptère. C'est-à-dire être capable de se poser très vite et de remonter très haut. Cela participe bien du mode de fonctionnement du groupe Iliad basé sur une culture agile. Les collaborateurs aiment avoir les moyens d'avancer rapidement et sont responsabilisés sur leur sujet qu'ils maîtrisent.

A quel moment démarre le projet de Kyutai, le lab AI dans lequel Xavier Niel, Rudolph Saadé, le patron de CMA-CGM et Eric Smidt, fondateur de Google viennent d'investir 300 millions d'euros ?

Aude Durand : Ça fait un peu moins d'un an. Quand ChatGpt et les IA générative sont sortis, on a bien sur analysé le sujet pour comprendre les clés du succès de ce projet. On s'est rendu compte qu'il y avait deux gros freins pour le reproduire en France.

Le premier, c'était l'absence d'infrastructure, au sens de mise à disposition, de puissance de calcul. Et ça, c'était un sujet qu'on pouvait adresser quand même, entre guillemets, " facilement ". Ça n'a pas été facile, nous disposions d'une base installée qui était un cloud provider dans notre filiale cloud Scaleway. On pouvait donc travailler sur des sujets d'intelligence artificielle au niveau infrastructure du terme.

Et puis il y avait un deuxième frein : la fuite de talents. Et là on s'est creusé la tête sur la meilleure façon d'endiguer cette fuite de talents, alors que nous n'avions pas vocation, en tant que groupe Iliad, à devenir fournisseur de produits d'IA et donc a recruter des équipes dédiées.

C'était un sujet d'écosystème. Et Xavier Niel est quelqu'un qui a régulièrement, tous les quatre, cinq ans, a envie de redonner à la communauté et faire bouger les lignes. Il l'a montré avec la Station F et les écoles 42.

Et une fois que vous avez identifié les clés du succès, il faut les mettre en œuvre rapidement parce que c'est une course l'intelligence artificielle aujourd'hui. Donc il faut aller solliciter Nvidia, dire a tout le monde que l'on va être un acteur important dans l'écosystème.

Le projet a démarré avec la transformation de Scaleway en un Cloud Provider. J'ai participé à la transformation de l'organisation Scaleway et au changement de positionnement stratégique. Sur la partie laboratoire, j'ai travaillé en autonomie pendant un certain temps avant de rencontrer notamment Eric Schmidt et ses équipes en France.

Grâce à leur réseau et leurs connaissances, nous avons identifié les meilleurs profils pour nous rejoindre (voir encadré). C'est comme cela qu'est né Kyutai, la sphère en japonais, un laboratoire de recherche en intelligence artificielle en " open science " à but non lucratif. Basé à Paris et doté de près de 300 millions d'euros, il débute avec une équipe de six chercheurs de haute volée. Son objectif : proposer une offre attractive aux meilleurs talents français, tentés de partir à l'étranger.

Comment avez-vous réussi à les convaincre ?

Aude Durand : On les invite à boire un café, on leur a expliqué le projet. Qu'il y aura des fonds significatifs pour avoir accès à de la puissance de calcul très vite, parce qu'on a on a un cloud provider qui a un bon partenariat avec Nvidia. Le sujet de la disponibilité de calculs est clé pour ces ingénieurs. Comme il y a peu de puissance de calcul en Europe, ils sont obligés d'aller solliciter des acteurs américains et passent souvent au second plan.

Maintenant que le laboratoire est lancé, quelle est votre prochaine mission ?

Aude Durand : Il y a de nombreux chantiers, comme la fibre notamment dans le groupe. Donc, je verrais quels sont les sujets que Xavier Niel veut me confier. Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant je veux devenir une spécialiste des télécoms. Mais voilà, la vie est faite d'opportunités et je me suis retrouvée dans ce secteur que j'adore car les télécoms sont essentielles dans notre vie quotidienne. Les gens souffrent plus de l'absence d'internet que d'électricité ! C'est passionnant d'être au cœur de l'écosystème à travers son infrastructure et la fourniture de services Cloud. Et il ya tellement de choses passionnantes à faire avec une personnalité comme Xavier Niel !

Kyutai, Open AI en version Made in France

La France a enfin son OpenAI. Trois milliardaires - Xavier Niel, président d'Iliad, Rodolphe Saadé, président de CMA CGM et Eric Schmidt, ancien PDG de Google - ont lancé ce vendredi 17 novembre, un laboratoire de recherche de pointe en intelligence artificielle, à but non lucratif et entièrement financé par le secteur privé. Son nom ? Kyutai, pour " sphère " en japonais. Mais aussi, et difficile d'y voir un hasard, pour " cute AI " (" jolie IA ", en anglais).

Situé à Paris, le laboratoire se lance avec une équipe de six pointures du secteur, composée de trois anciens de Fair Paris (le laboratoire de recherche en IA de Facebook) - Alexandre Défossez, Edouard Grave et Hervé Jégou -, de deux anciens de Google DeepMind - Laurent Mazaré et Neil Zeghidour -, et de Patrick Pérez, qui était précédemment directeur de l'IA chez Valeo.

Pour accompagner cette équipe prestigieuse, Kyutai s'est dotée d'un conseil scientifique ou siégeront trois figures mondiales de l'IA : la Sud-Coréenne Yejin Choi, directrice de recherche à l'Allen Institute for AI (AI2) ; l'Allemand Bernhard Schölkopf, directeur de recherche au Max Planck Institute ; et enfin le Français Yann Le Cun, directeur de l'IA du groupe Meta, reconnu comme un des pères de l'apprentissage profond.