Céline Tran
Frédéric Murarotto

Dix ans après avoir quitté le monde du X, Céline Tran - aussi connue sous le pseudonyme "Katsuni" - s'est dirigée vers une voie plus en adéquation avec ses valeurs : l'accompagnement et le coaching. Conférencière, formatrice en hypnose et en sexologie, actrice pour le cinéma "traditionnel", doublure cascade, auteure... La coach en développement personnel a, parallèlement, exploré de nombreux métiers.

Après avoir partagé son témoignage sur sa première vie dans Ne dis pas que tu aimes ça, Céline Tran prépare, en collaboration avec le médecin psychiatre Jérôme Palozzolo, un livre de "self-help" autour de l'anxiété de performance qui paraîtra aux éditions Odile Jacob en 2024.

Retour sur son parcours et sur les raisons qui l'ont poussée à se tourner vers d'autres horizons moins sinueux, aujourd'hui sources de plein épanouissement.

Il y a 10 ans, alors que vous étiez à l'apogée de votre carrière dans le X à Los Angeles, vous avez décidé de tout arrêter pour passer à autre chose. Qu'est-ce qui a motivé cette décision ?

Céline Tran : Il y a eu plusieurs prises de conscience. L'une d'entre elles a été de constater que ce milieu avait changé depuis mes débuts, qui correspondaient à la période durant laquelle les cassettes VHS ont été remplacées par la révolution DVD (rire). À ce moment-là, les films X étaient encore exclusivement réservés aux adultes. Après l'avènement de l'ère d'internet, les vidéos sont peu à peu devenues accessibles à tous, tout particulièrement chez les plus jeunes et les mineurs. Et ça, ça me dérangeait beaucoup !

Ensuite, la deuxième prise de conscience a été de me rendre compte que je ne me reconnaissais plus là-dedans. Ça commençait à ne plus m'amuser et même à me déranger. J'ai compris la responsabilité que j'avais sur ce sujet-là, même si je n'avais aucun pouvoir sur la diffusion du contenu auquel je participais. Entre mes 20 ans et mes 33 ans, j'ai évolué et j'avais développé ce besoin de donner du sens à ma sexualité. C'était tout l'opposé auparavant : Lorsque j'ai commencé, c'était l'anarchie et la rébellion. Je ne voulais surtout pas mettre du sens dans ce que je faisais. Je souhaitais repousser les limites. À 33 ans, je me suis rendue compte que la quête à travers les sens et le corps a ses limites. J'avais besoin d'intimité et de spiritualité et tout cela était parfaitement incompatible avec le métier que j'exerçais à ce moment-là.

"Ne dis pas que tu aimes ça", Céline Tran
Fayard / La Musardine

Je vais vous raconter le déclic que j'ai ressenti en 2013 qui a représenté le point de non-retour avec le monde du X : J'étais sur un tournage aux conditions idéales à Los Angeles, et je me suis réellement demandée "Qu'est-ce que je fous là ?". C'est la même interrogation que je me suis posée sur les bancs de Science Po, plus de 10 années auparavant. Je me suis rendue compte que je n'appartenais plus à ce monde-là ! C'était tellement viscéral que j'ai tout de suite arrêté.

Durant ces treize années, avez-vous quand même ressenti un certain épanouissement personnel ?

Céline Tran : Je me suis amusée et j'ai exploré des facettes de moi sur le plan émotionnel et comportemental que je ne soupçonnais pas. De manière assez paradoxale, c'est un métier idéal pour les personnes introverties et pudiques, comme je pouvais l'être. Le fait d'être dans un personnage et de porter un pseudo m'a permis d'exercer dans une sorte de terrain de jeu. Ce parcours de 13 ans a été rempli de nuances et c'est cet ensemble-là qui a été enrichissant. Cependant, avec le recul, je reconnais que j'ai surtout vécu un épanouissement après avoir arrêté.

Avec du recul justement, avez-vous des regrets par rapport à cette partie de votre vie ?

Céline Tran : Cet épisode de 13 ans m'a à la fois construite et déconstruite et m'a permis de devenir la femme que je suis aujourd'hui. Je reconnais une ambivalence sur le sujet : je regrette de nombreuses choses mais en même temps, j'embrasse ce parcours parce que j'ai quand même beaucoup appris. Mais c'est important de reconnaître ses erreurs et une chose est sûre : si c'était à refaire, je ne le referais pas !

J'ai une conscience aujourd'hui qui m'aurait conduite à faire de meilleurs choix. Je ne le referais pas car c'est une illusion de penser que j'allais me découvrir en tant que femme à travers cette voie-là. Mais au moment où je me suis lancée, cette voie me semblait juste. J'ai, aujourd'hui, un peu de compassion pour cette jeune femme que j'étais. Même si je reconnais beaucoup de points positifs à mon parcours, je ne glorifie pas ce métier. Et je ne le recommande pas non plus !

Aujourd'hui, quelle activité professionnelle exercez-vous ?

Céline Tran : Ma principale activité est actuellement l'accompagnement et le coaching, particulièrement destinée aux dirigeants et aux chefs d'entreprise. Je les accompagne, depuis 2018, autour du rapport à la performance d'une part, et au lâcher prise d'autre part. De même, je me suis spécialisée au rapport au corps, comme l'intimité et la sexualité.

Je n'ai pas fait d'école de coaching mais ma première force est mon expérience et le recul que j'ai acquis par rapport à cette dernière. Concrètement, je combine l'hypnose Ericksonienne, le conseil, le massage bien-être et des exercices respiratoires accompagnés de techniques de yoga. Je propose des accompagnements qui s'intéressent autant au mental qu'aux émotions, en passant par les besoins du corps. Tout cela fonctionne ensemble ! C'est une vision holistique qui prend en compte l'être humain dans toutes ses dimensions. Mais évidemment, je ne suis ni une guérisseuse, ni une magicienne (rire).

Pourquoi vous êtes-vous orientée vers cette voie ?

Céline Tran : Cette voie s'est d'elle-même imposée à moi. Au départ, j'ai commencé de manière informelle car spontanément, de nombreuses personnes me sollicitaient pour avoir des conseils et ensuite, je me suis formée et professionnalisée. Pendant ma carrière dans le X, déjà, de nombreuses femmes et de nombreux hommes s'adressaient à moi, estimant que j'étais de bon conseil. C'était très axé sexualité mais aussi relations amoureuses, rapport au corps, addictions, estime de soi...

Ces personnes avaient le sentiment que je pouvais tout entendre et que je n'allais pas les juger. C'est très important dans le monde de l'accompagnement et du coaching ! Même si en tant qu'être humain j'ai forcément un ressenti personnel, il est primordial de ne pas le communiquer et de garder une certaine bienveillance. Pour ma carrière dans le X, je suis allée au-delà du regard des autres et cela m'est aujourd'hui fortement bénéfique. De même, il faut créer une complicité avec la personne accompagnée et mon ancien métier m'a permis de développer cette compétence. On n'est jamais aussi bon coach que lorsqu'on incarne ce que l'on transmet ! Et tout cela ne se remplace pas par les diplômes et les parcours universitaires...

Au début, je rendais ces services à titre gracieux et finalement, j'en ai fait ma profession. Pour moi, c'était une transition naturelle car il était temps d'utiliser mon ancienne carrière pour en tirer le meilleur et transmettre tout ce que j'ai appris. Cela a représenté pour moi un processus de transformation, avec une dimension éthique. Parallèlement, je suis également formatrice en hypnose et en sexologie et conférencière.

Avez-vous exploré d'autres métiers entre le moment où vous avez arrêté votre carrière dans le X et celui où vous vous êtes dirigée vers le coaching ?

Céline Tran : Après m'être rhabillée en 2013, j'ai souhaité poursuivre une carrière devant la caméra mais cette fois-ci avec un peu plus de dialogue et davantage d'habits (rire). Je suis très cinéphile, même assez geek, et j'avais envie de vivre mon rêve de gamine. J'ai grandi avec les films de Schwarzenegger, de Bruce Lee, de Stallone... Et je souhaitais vraiment me donner une chance dans le cinéma. Et comme j'avais encore cette rage en moi et ce besoin d'utiliser mon corps, je me suis plutôt dirigée vers le cinéma d'action. Ce n'était d'ailleurs pas très stratégique parce qu'en France, ce n'est pas le genre de films le plus réputé. Loin de là !

Je n'avais pas conscience des effets indésirables que pouvait revêtir "l'étiquette X". Mais quand j'ai envie de faire quelque chose, je me donne tous les moyen et donc j'ai tenté ma chance. J'ai notamment eu l'occasion de jouer un rôle dans la série Le Visiteur du futur de François Descraques, diffusée sur Dailymotion et France 4. J'y jouais un personnage extrêmement étriqué, qui enseignait les bonnes manières. Ça m'a beaucoup amusée !

J'ai fait différentes rencontres lors de cette expérience et notamment celle d'un coordinateur-cascadeur, qui m'a permis de tourner dans plusieurs court-métrages. J'ai aussi obtenu un rôle en 2017 dans un film d'action cambodgien, diffusé sur Netflix, qui s'appelle Jailbreak. J'espérais que cela soit un tremplin pour ma carrière dans le cinéma mais une blessure assez grave survenue sur le tournage a mis une pause à mes ambitions. J'ai découvert que le milieu du cinéma était plus complexe que le milieu du X et donc de nombreux projets ont été avortés. Je me suis donc ensuite dirigée vers d'autres voies.

Dernièrement, j'ai tout de même eu un rôle de doublure cascade de l'actrice Michelle Yeoh pour le film Netflix The Witcher : Blood Origin. Je ne recherche pas forcément d'autres projets de ce type à ce jour mais si l'occasion se représentait, pourquoi pas réitérer l'expérience ! Parallèlement, je me suis aussi lancée dans l'écriture de bandes dessinées. Je ne m'interdis rien si le projet est en adéquation avec mes valeurs.

Justement, je poursuis un peu ma carrière dans le cinéma mais, cette fois, de deux nouvelles manières : par l'écriture scénaristique d'une part et par l'activité de coordinatrice d'intimité de l'autre. Concrètement, je veille à ce que le consentement soit bien respecté lors de certaines scènes d'intimité. C'est un métier récent, développé depuis les scandales autour du mouvement #MeToo.

Et l'affaire Depardieu montre qu'il reste de nombreuses failles dans le monde du cinéma... Qu'en pensez-vous ?

Céline Tran : On tape souvent sur les films X en considérant qu'ils transmettent de la violence. Je ne nie pas d'ailleurs la violence physique apparente mais il ne faut pas oublier que la pornographie n'est rien d'autre que du show, comme le catch. La violence devant les caméras n'est pas répercutée après le tournage. J'ai l'impression que c'est l'inverse pour le cinéma traditionnel : il peut y avoir beaucoup de poésie et de délicatesse devant la caméra et beaucoup de violence hors-champ.

Je pense que la France doit imposer des contrôles pour que ce cadre de consentement soit bien respecté lors des tournages. Mais pour l'instant, ce n'est malheureusement pas le cas...

Qu'attendez-vous d'autres de la part de l'État ?

Céline Tran : Un vrai sujet qui n'a jamais réellement été pris à bras-le-corps par les gouvernements successifs est la protection des mineurs vis-à-vis des contenus pornographiques. Le gouvernement n'applique tout simplement pas la loi. Il faudrait que le pouvoir cesse enfin d'être lâche et applique les lois pour préserver les mineurs des contenus pornographiques. C'est bien gentil de faire des campagnes dans le métro mais c'est pas ça qui fera avancer les choses ! Il faut travailler au niveau de l'éducation, et être davantage sur le terrain pour effectuer de la prévention dès le plus jeune âge.