Thierry Le Guénic, Habitat
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La décision a été prise par le tribunal de commerce de Bobigny. C'en est finie de l'enseigne de meubles design Habitat et sa vingtaine de magasins en France. Selon les juges, la situation était " irrémédiablement compromise " pour Habitat notamment " en raison de l'absence de trésorerie et de l'impossibilité d'utiliser la marque ". L'annonce laisse sur le carreau 300 salariés, des montagnes d'impayés et 9 millions d'euros d'acomptes versés par des clients qui n'ont jamais réussi à obtenir leurs meubles ou leurs remboursements.

Dans une lettre adressée à l'AFP, Thierry Le Guénic, le repreneur d'Habitat en 2020, admet ne pas avoir " réussi à relever ce challenge, tout comme les précédents actionnaires ". Mais il se dédouane en estimant avoir pu éviter " tout plan social " et en affirmant avoir investi plus de 12 millions d'euros dans le numérique et l'ouverture de points de vente.

Thierry Le Guénic juge que ses projets et ambitions " n'ont pas pu être réalisés dans un contexte économique très défavorable (...) et face à des résistances internes manifestes ".

Une version sensiblement différente de celle du groupe Cafom, un acteur majeur de l'équipement de la maison en Europe et en Outre-Mer, et propriétaire de la marque Habitat.

La société Cafom étant cotée en Bourse, elle a tenu à rappeler à ses actionnaires qu'elle avait accordé la licence de la marque Habitat à la société HDI dans le cadre de la cession de l'intégralité du capital de la société HDI, le 6 octobre 2020 à la société Terence Capital, société détenue par Monsieur Thierry Le Guénic.

Pour Cafom, cette décision était liée à la volonté du groupe de se recentrer sur la gestion de franchise en Outre-Mer et de sites e-commerce. Le Groupe est l'actionnaire majoritaire du site Internet vente-unique.com et le leader de la distribution d'équipements de la maison en Outre-mer avec les enseignes BUT, Darty, BUT Cosy, Habitat, Nature & Découvertes et Musique et Son). Il détient également la marque Habitat et le site B2B international directlowcost.com.

A la date de la cession, HDI disposait d'une trésorerie nette de dettes financières de 15 millions d'euros, de 23 millions de stocks (entrepôt + magasins), de 3 millions d'euros d'avance fournisseur sur des prestations de logistique et d'un plan de financement validé par le Tribunal de Commerce.

Outre la mise à disposition de la licence exclusive d'exploitation à HDI, le groupe Cafom assurait également, au travers de sa filiale Vente-unique.com, des prestations de logistique pour le compte de HDI. Sur le dernier exercice clos au 30 septembre 2023, le Groupe a facturé 6,9 millions d'euros à HDI au titre de ces prestations, soit 1,7% du chiffre d'affaires consolidé du Groupe Cafom.

Le groupe rappelle également qu'il opère, en Outre-Mer, 5 magasins sous enseigne Habitat, qui ont réalisé 6,1 millions d'euros lors du dernier exercice, et dont l'activité perdure normalement.

"Face à la situation, Cafom a pris la décision de " résilier la licence de marque en raison du mécontentement grandissant des clients à l'égard d'HDI, notamment au titre des défauts de livraisons des marchandises commandées. Les effets de cette résiliation ont été confirmés par une ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de Bobigny ".

"Dans ce contexte, le Groupe Cafom prend acte de la liquidation judiciaire de HDI et étudie les meilleures options pour valoriser la marque Habitat."

Dans l'accord de départ, le groupe Cafom restait propriétaire des marques Habitat, données en licence exclusive d'exploitation à HDI, pendant 3 ans, jusqu'en octobre 2023, avec une rémunération forfaitaire de 300 000 euros par an et une option d'achat de ces marques exerçable à l'issue de cette période.

Au début de l'automne, Le Guénic n'a donc pas tenu ses engagements vis-à-vis de Cafom. Ce qui a définitivement condamné l'exploitation de l'enseigne en France.

Les salariés désabusés ont découvert à ce moment-là, qu'en réalité l'entreprise n'avait plus de trésorerie. Thierry Le Guénic, qui a repris Habitat en 2020 pour un euro symbolique, n'a payé que 60 % des salaires de novembre et comptait sur le régime légal de garantie des salaires pour compléter et payer le mois de décembre.

De même, "depuis plusieurs semaines, voire parfois plusieurs mois, l'entreprise ne règle ni factures, ni loyers, ni fournisseurs". Certains salariés ont d'ailleurs exercé leur droit de retrait en l'absence de chauffage faute de facture payée. Et cette situation a empiré face aux commandes des clients.

D'après Mediapart, le directeur général Franck Deshayes avait alors soudainement quitté l'entreprise et la directrice financière placée en arrêt maladie. En fait, " depuis le printemps 2022, on commençait à couler, en payant de moins en moins les loyers, les factures de chauffage, les prestataires de sécurité, de nettoyage etc. ", explique la secrétaire du comité social et économique (CSE) d'Habitat Ratiba Hamache, également déléguée syndicale centrale CGT. Et toujours d'après Mediapart, ce sont près de 30 millions d'euros qui se seraient volatilisés des comptes d'Habitat en seulement deux ans.

Présenté comme un " sérial entrepreneur ", Thierry Le Guenic n'en est pas à son coup d'essai. Souvent associé à Stéphane Collaert, le duo a beaucoup fait parler de lui sur la planète prêt-à-porter et chaussures depuis 2017, reprenant coup sur coup diverses affaires : Chevignon, CosmoParis, San Marina, toutes trois de l'ancien groupe Vivarte, puis Maison Lejaby ainsi que les maillots de bain Rasurel. Les deux cinquantenaires ont beaucoup de points communs, tous deux diplômés en finances de l'université Paris Dauphine, ils ont commencé leur carrière l'un au cabinet d'audit et de conseil Deloitte, l'autre chez Arthur Andersen.

L'entrepreneur-investisseur Thierry Le Guénic avait ensuite racheté, seul, Habitat en 2020. La même année, cet homme d'affaires avait repris l'enseigne d'habillement Burton of London, placée en redressement judiciaire l'été dernier et qui n'a pas trouvé de repreneur.

Pour relancer, l'enseigne de prêt-à-porter, cédée par le groupe Omnium (Devred, Bouchara, etc.), Le Guénic avait chargé une nouvelle directrice générale, Anne-Laure Couplet, de transformer 40 magasins sur les 125 de l'enseigne en un nouveau concept baptisé Sauvage Poésie. Des magasins multimarques dans le style " Anthropologie ou Sezane ", vendant des produits des marques Faguo, Pataugas ou la marque de bijoux Aimée en plus des marques détenues par l'entrepreneur.

A l'été 2003, l'une de ses autres marques, Orcanta (lingerie) a été placée en redressement judiciaire.

Mais insatiable, toujours cette année, Thierry Le Guénic a racheté la chaîne d'équipements de cuisine, Alice Délice, et la start-up de livraison de kits repas à cuisiner Quitoque. Une opportunité pour Le Guénic " d'établir des synergies avec Alice Délice. "

Début janvier 2024, c'est au tout de l'enseigne de lingerie Maison Lejaby d'être placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lyon.

Maison Lejaby, dont le siège est à Rillieux-la-Pape (Rhône), est une enseigne de lingerie qui compte actuellement 55 salariés dont 30 personnes chargées de la vente et deux boutiques à Paris et à Lyon, selon les syndicats. L'enseigne compte également des "corners" aux Galeries Lafayette et au Bon Marché. Pour les prochains mois "et dans une activité normale", l'actionnaire majoritaire "s'est engagé à apporter son soutien financier".