Sandrine Godefroy-Evangelista
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À l'occasion de la sortie de son livre La nouvelle Élite : Les nouveaux modèles de leadership à impact, Sandrine Godefroy-Evangelista, fondatrice de plusieurs cabinets de conseil spécialisés dans l'innovation RH (Keep Coach, Keep Open, Leaders For A Good Planet), nous livre les conclusions qu'elle tire de ses nombreuses entrevues avec des dirigeantes françaises.

Quel principal enseignement tirez-vous des rencontres que vous avez faites avec 22 dirigeantes pour la rédaction de La nouvelle Élite ?

Sandrine Godefroy-Evangelista : Le principal enseignement est qu'aucune de ces femmes - malgré leur carrière exceptionnelle - n'a vécu cette expérience de dirigeante de manière naturelle et facile. Et ce constat s'applique aussi pour les femmes qui ont, de nature, confiance en elles et qui ont accédé à des postes de très hautes responsabilités. Cela concerne donc les 22 dirigeantes que j'ai interrogées pour ce livre mais également les centaines de personnes que j'ai accompagnées au cours de ma carrière. J'en déduis que le leadership s'apprend et n'est pas du tout quelque chose de naturel.

Dans le livre, vous dites que pour chaque femme directrice promue au niveau supérieur, deux femmes directrices choisissent de quitter leur entreprise. Comment expliquez-vous cette situation ?

Sandrine Godefroy-Evangelista : Je ressens que les femmes ont du mal à se retrouver dans les modèles proposés au niveau des entreprises et du management. C'est particulièrement visible ces dernières années. L'illustration la plus flagrante étant la démission, au début de l'année, de la Première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern. Lorsqu'elle a accédé à son poste, elle a un peu révolutionné la façon dont on dirige un pays mais au bout d'un moment, elle s'est retirée pour protéger sa vie personnelle et sa famille. C'est comme si ces phénomènes de pouvoir et d'exposition épuisaient davantage les femmes que les hommes. Cela s'explique notamment parce que le modèle actuel de direction ne convient pas aux femmes. Et cela concerne donc les dirigeantes d'entreprise mais également celles qui exercent leurs compétences dans la sphère politique.

La confiance des femmes dans le monde du travail
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Beaucoup d'efforts ont été faits par les entreprises pour permettre aux femmes de concilier leur vie professionnelle à celle personnelle (installation d'une crèche dans les établissements...). Mais concrètement, le blocage persiste chez les femmes car elles pensent d'une manière différente que les hommes. Selon mes observations, elles pensent d'abord au collectif avant de penser à elles-mêmes. Et ce collectif comprend la famille, les enfants, les parents... Elles se disent donc qu'elles ne pourront pas être utiles au collectif si elles se mettent trop en avant.

Selon vous, qu'est-ce qui explique cette manière de penser différente entre les hommes et les femmes ?

Sandrine Godefroy-Evangelista : En tant que femme, on nous a appris, en France, qu'il fallait être de bonnes élèves, qu'il fallait être disponibles pour tout le monde, gentilles etc. Alors que nous n'apprenons pas ces valeurs-là aux jeunes garçons. On leur inculque plutôt le courage ou la force comme valeurs fondamentales. Les femmes ont donc toujours ce besoin de tout réussir. Elles ont ce perfectionnisme en elles. Et ce phénomène représente une véritable pression supplémentaire pour elles dans le monde du travail. Malgré tout, il est tout à fait possible de concilier vie privée et vie professionnelle. C'est un fantasme de penser que c'est impossible. En revanche, c'est impossible de tout réussir et cela, il faut que les femmes le comprennent et l'intègrent dans leur façon d'agir dans le milieu professionnel.

Pourquoi les femmes n'ont généralement pas confiance en elles dans le monde du travail ?

Sandrine Godefroy-Evangelista : Les femmes croient en leur talent mais elles attendent qu'on leur donne la permission de l'exercer. C'est ce que j'appelle le syndrome de Cendrillon selon lequel elles attendent le baiser du prince charmant pour se réveiller et pour agir. On retrouve cette idée dans le monde du travail. Par exemple, contrairement aux hommes, c'est rare qu'une femme ose demander une augmentation. Elles attendent, en général, que l'on reconnaisse leurs compétences et donc qu'on leur propose cette récompense. Le système éducatif français explique en partie de phénomène où nous attendons cette récompense par l'intermédiaire d'une bonne note par exemple. Et cette récompense vient uniquement de l'extérieur.

Dans le monde de l'entreprise, c'est totalement différent. Il faut oser et prendre soi-même l'initiative de demander la récompense en quelque sorte. Et plutôt que d'attendre que les choses changent, il faut d'abord se changer soi. Mais dans le culture française, cette prise d'initiative chez les femmes est encore assez mal perçue (image de carriériste, d'égocentrique...). Alors que pour les hommes, c'est très valorisé ! Il faut que les femmes passent outre ces considérations.

La nouvelle élite - Schéma
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Dans le livre, vous évoquez également le syndrome du grand coquelicot et celui de l'imposteur. Concernent-ils davantage les femmes que les hommes ?

Sandrine Godefroy-Evangelista : Le syndrome de l'imposteur est assez universel et concerne vraiment tout autant les femmes que les hommes. C'est assez équilibré ! Cependant, ce syndrome est, en général, vécu différemment selon le genre. Les femmes qui ne sentent pas assez compétentes vont toujours chercher à apprendre et à se former. C'est pour cette raison d'ailleurs que les femmes sont souvent sûr-diplômées. Elles ont donc besoin d'avoir une validation extérieure avant de se lancer. Chez les hommes, c'est différent : Ils n'ont pas d'appréhension au départ. Ils y vont et c'est lorsqu'ils se prennent le mur qu'ils commencent à perdre confiance et à vivre le syndrome de l'imposteur.

En revanche, le syndrome du grand coquelicot est davantage féminin. Il représente le fait de ne surtout pas vouloir dépasser ses semblables, de ne pas aimer se mettre en valeur par rapport aux autres. Cette exposition engendre souvent de nombreuses critiques, surtout chez les femmes, et donc elles ont tendance à vouloir davantage se cacher. Par contre, ce phénomène dérange nettement moins les hommes car ils sont moins sensibles à ce type de critiques.

Vous-même, quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre carrière de dirigeante ?

Sandrine Godefroy-Evangelista : Honnêtement, j'ai rencontré toutes les difficultés que j'évoque dans le livre et c'est pour cela que je les décris si bien (rire). Sans aucune exception ! Moi, je suis quelqu'un de très timide à l'origine et qui veut constamment être une bonne élève. Ce n'était donc pas du tout gagné pour faire le parcours que j'ai réalisé ! Chaque étape de mon parcours professionnel a été un défi personnel.

Les femmes gagnent toujours, en moyenne, 15,5 % de moins que les hommes (et 5,3 % à temps de travail et à postes équivalents). Comment faire bouger les lignes sur cette problématique d'écart salarial qui persiste ?

Sandrine Godefroy-Evangelista : Le constat est clair : c'est vrai qu'il existe toujours une grosse différence de salaires entre les femmes et les hommes aujourd'hui en France. Cependant, et je sais que de nombreuses personnes ne vont pas être d'accord avec ce que je vais dire, il y a une responsabilité féminine à ce phénomène. À notre petite échelle, nous ne pouvons pas changer le système actuel et les grilles de salaires dans les entreprises. Il faut donc agir individuellement, de manière très pragmatique. J'encourage les femmes à négocier leurs salaires, à oser demander ce qu'elles sont en droit d'attendre. Elles ne le font pas encore suffisamment car elles craignent le "non", l'interprétant comme une sorte de preuve de leur incompétence. Mais c'est loin d'être le cas ! Ce sont souvent d'autres raisons - majoritairement économiques - qui motivent ce "non". Il ne faut donc pas avoir peur du refus. Il est important d'oser ! Les femmes doivent davantage s'imposer pour faire bouger les lignes. Voilà le message que j'essaie de transmettre à travers mon livre.

La nouvelle Élite
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