Véronique Riches-Flores, économiste
@VéroniqueRichesFlores

POINTS CLÉS

  • Il ne s'écoule jamais beaucoup de temps avant qu'une inflation incontrôlée ne se transforme en sujet politique de premier ordre.
  • L'économiste Véronique Riches-Flores nous explique, en exclusivité, pourquoi l'inflation argentine est un cas d'école.

Il ne s'écoule jamais beaucoup de temps avant qu'une inflation incontrôlée ne se transforme en sujet politique de premier ordre, comme c'est aujourd'hui le cas avec l'élection de Javier Milie en Argentine. L'économiste Véronique Riches-Flores nous explique, en exclusivité, pourquoi l'inflation argentine est un cas d'école.

"Les phénomènes inflationnistes sont rarement expliqués avec certitude mais, si, jamais un épisode n'a ressemblé à un autre, tous ont meurtri les populations, conduit aux plus grandes crises économiques et à la perte de confiance dans la monnaie dont le rôle de réserve de valeur est laminé par l'envolée des prix.

C'est indéniablement sur le terreau de l'inflation, en effet, que le nouveau président Javier Milie en Argentine à gravi l'échelle du pouvoir.

En octobre, la hausse annuelle des prix à la consommation y dépassait 140 %, un record à l'échelle des grands pays de la planète. La monnaie, le peso, à l'égard duquel le candidat élu ne pouvait être plus dédaigneux, ne s'échangeait plus qu'à 350 unités pour un dollar, quasiment six fois ce qu'il valait trois ans auparavant, malgré des taux d'intérêt entretemps portés à 133 % par la banque centrale. La pauvreté endémique du pays, parmi les plus élevées d'Amérique latine, touchait plus de 40 % de la population, alors que le PIB par habitant avait fondu de 8 % depuis 2010, en dépit, pourtant, d'un contexte plutôt plus favorable que par le passé, au cours duquel, néanmoins, l'inflation n'est jamais retombée sous la barre des 10 %. En moyenne entre 2010 et 2019, elle a atteint 20 %, à raison de 32 % sur les quatre dernières années. Depuis 2020, ce même taux a été porté à 64 % par an.

Comment l'expliquer ?

Covid, guerre en Ukraine, sècheresses exceptionnelles depuis trois ans ont porté un coup très dur à l'économie argentine, avec une envolée des prix des denrées de première nécessité, en même temps qu'un choc à l'exportation particulièrement impactant pour une économie dont les ventes de produits agricoles constituent la première source de revenus étrangers. Mais en cela l'économie argentine n'a rien de très spécifique par rapport une majorité de pays, confrontés aux mêmes types de chocs durant la période d'épidémie de covid. Comment expliquer qu'elle n'ait pas réussi à gérer mieux ces défis ?
S. Massa, dernier président en place ces deux dernières années, est l'héritier d'une longue tradition péronniste, du nom du président Peron en exercice de 1946 à 1955. Difficile à qualifier, tant ses pratiques ont évolué au fil du temps et des mandatures, le péronisme se caractérise surtout par un très fort dirigisme d'État et de la fonction présidentielle, par la protection d'un Etat-providence au nom de la justice sociale et par un protectionnisme structurel visant à privilégier la production nationale aux importations. Le système a de tout temps encouragé des politiques expansionnistes, auxquelles les derniers gouvernements n'ont pas dérogé dans le sillage de la crise covid.

Dissimulées lorsque la conjoncture est favorable, comme cela s'est produit durant le mandat de Nestor Kirchner, de 2003 à 2007, quand le pays profitait d'une forte demande exterieure de produits agricoles, ces pratiques sont beaucoup plus ravageuses en période de basse conjoncture, lorsque les recettes à l'exportation agricoles font défaut pour financer les dépenses publiques. Avec un degré de corruption particulièrement élévé, l'Etat argentin est structurellement pauvre et ses éventuelles actions sur la fiscalité sont bien peu efficaces. C'est, donc, à la planche à billets que l'Argentine a régulièrement recours pour pallier ces difficultés et c'est bien là la principale source d'inflation chronique de l'économie argentine.

En moyenne depuis 20 ans, la croissance annuelle de la masse monétaire a été supérieure de plus de 30 points à celle du PIB réel, un écart porté à plus de 50 % ces dernières années, bien loin des standards qui régissent habituellement la croissance monétaire par rapport à l'activité, même durant les années exceptionnelles. Il a suffi, par exemple, que cet écart s'élève ponctuellement aux environs de 20 % dans le monde développé en 2020 pour créer, dans un contexte de soutien budgétaire également hors norme, une vague d'inflation jamais vue depuis quarante ans en occident ces deux dernières années.

L'inflation argentine semble bien trouver l'essentiel de ses racines dans un mixte politique éminemment déséquilibré d'évolution des dépenses publiques et de la masse monétaire simultanément incontrôlées, à l'origine d'une perte de confiance dans la monnaie dont la dépréciation structurelle exacerbe les tensions sur les prix et renchérit le coût d'une dette extérieure.

Comment dès lors lutter contre un tel phénomène ?

Tailler dans les dépenses publiques comme le promet le nouveau président en réduisant leur poids de 15 points de PIB et en supprimant dix des dix-huit ministères promet un appauvrissement plus rapide encore du pays. Supprimer la banque centrale et le peso pour les remplacer par le dollar et la FED, aggraverait, vraisemblablement la situation pour un pays qui trouve très peu de ses débouchés dans la zone dollar.

L'économie argentine souffre d'une insuffisance chronique d'offre que reflète notamment son très faible taux d'investissement et sa très faible diversification économique. Malgré des dépenses publiques très soutenues, l'investissement public n'a quasiment pas augmenté entre 1998 et 2015. Plutôt qu'une baisse brutale des dépenses, comme préconisée par le nouveau président, c'est donc une réorientation de celles-ci en faveur de l'investissement qu'il faudrait privilégier en même temps qu'un cadre réglementaire et institutionnel plus propice à l'investissement, notamment via la lutte contre la corruption.