Café de Flore
Café de Flore

C'était le 24 février 2023. 8 mois plus tard, il est parti. Pourvu de cette même passion pour le journalisme, je m'étais offert les 440 pages qui composent son ultime ouvrage Les rives de la mémoire. La lecture aura rarement été si captivante tant la description de chaque épisode de cette incroyable vie m'enivrait.

Par le plus grand des hasards, je découvris qu'une séance de dédicaces était prévue, en novembre 2022, à la librairie Lamartine, dans le XVIe arrondissement de la Capitale. Je m'y étais alors précipité pour rencontrer l'homme aux mille vies et arracher une petite paraphe sur mon bouquin. Lui révélant notre confraternité, il me proposa de continuer la conversation autour d'un café, et me laissa son numéro de téléphone en dessous de la signature.

Transmettre. Voilà ce que ce passionné de tout affectionnait tant. J'avais 22 ans, j'étais en dernière année de formation et je venais tout juste d'obtenir ma première carte de presse. Lui, il en avait 85, il avait couvert des déplacements du Général, annoncé la victoire de Tonton à la télévision, dirigé France Télévisions, interviewé Vladimir Poutine...

Jean-Pierre Elkabbach dans une librairie du XVIe arrondissement de Paris
Jean-Pierre Elkabbach, le 26 novembre 2022, dans une librairie du XVIe arrondissement de Paris. Matis Demazeau

Trois mois plus tard, nous nous retrouvâmes dans un lieu emblématique du tout-Paris, où tant d'artistes, de littéraires et d'intellectuels se sont croisés : le Café de Flore.

Pendant plusieurs heures, l'interlocuteur préféré de Georges Marchais ("Taisez-vous Elkabbach") me partagea ses mille vies et ses différentes analyses sur la situation géopolitique. N'était-il pas l'une des personnes les plus légitimes pour évoquer le conflit en Ukraine, lui qui avait été le seul (ou presque...), dans l'Hexagone, à avoir rencontré le locataire du Kremlin ? Outre les nombreux conseils qu'il m'adressa, il s'évertuait à tester mes différentes connaissances sur la politique française qui le passionnait tant. Un autre point commun...

Il souhaitait également vérifier si ses célèbres bribes d'interviews étaient connues d'un jeune journaliste comme moi : "Bonjour Marine Le Pen, vous n'avez pas honte ?" ou encore "Quelle couleur vous préférez pour le mur ? Le mur sur lequel votre réforme territoriale va se fracasser". Évidemment, elles l'étaient !

Quelques minutes après cet improbable après-midi passé dans l'établissement préféré de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, en tête-à-tête avec l'un des plus grands journalistes hexagonaux des deux derniers siècles, je reçus un appel inattendu. C'était lui, qui voulait "poursuivre la discussion".

Après une demi-heure de conversation téléphonique, il me salua d'un "Allez petit, à bientôt, vous me tenez au courant". Le temps passa jusqu'à ce mardi 3 octobre et cette brève annonce reçue sur mon appareil : "Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach est mort". Je ne l'avais jamais rappelé...